15 10 2014

« Dans le ciel de la patrie » : Jean Cocteau et l’aviation en 1914-1918

Edité pour le compte de la société de construction aéronautique SPAD [1], Dans le ciel de la patrie [2] est un album illustré publié en 1918. A mi-chemin entre la plaquette publicitaire et l’album patriotique, ce rare ouvrage conservé par la Bibliothèque du musée de l’Armée se distingue par un parti-pris de modernité.

Dans le ciel de la patrie

Le poète Jean Cocteau (1889-1963), figure déjà incontournable de l’avant-garde parisienne, en rédige le principal texte tandis que le peintre et illustrateur Eduardo Benito Garcia (1891-1981), dit Benito, en réalise les illustrations. « Draeger m’a montré les toiles de Benito, amusantes sans plus » écrit Cocteau à sa mère en août 1917, « je ne ferai ce texte que s’il me paye bien et par amitié pour les aviateurs [3] ». Cocteau en effet est l’ami de Roland Garros (1888-1918), qu’il a connu dès avant-guerre, quand celui-ci l’emmenait voler à bord de son Morane. L’expérience lui inspirera une bonne part du Cap de Bonne-espérance (1919), dédié au célèbre aviateur. Dans le ciel de la patrie s’inscrit dans cette recherche : « et maintenant », écrit Cocteau, « cherchons une imagerie pour escadrilles, puisque les anciennes formules ne parviennent plus à exprimer les prouesses de 1918 [4] ». De fait, aux vues « embarquées » de Benito, dans un style cubiste, répondent les légendes syncopées, proches des commentaires d’actualités cinématographiques [5], du poète : « Stabilité conquise. Le Pilote n’écoute pas les sirènes du vide. Une rafale d’immobilité océanique. L’avion embarque des paquets de ciel. Il s’éloigne [6] ».

Benito

C’est avant tout l’exploit que l’on célèbre, le prodige du vol, mais aussi la victoire des « as » français, ces géants qui, une fois à terre, trouvent tout trop petit (« Garros ne me disait-il pas souvent : « A Paris, mon envergure me gêne… [7]»). Mais, aux commandes de leurs Spad, « ce modèle des avions d’attaque, cette petite machine de race, forte et charmante comme nos soldats qui ont de bonnes grosses jambes et l’œil vif », ils redeviennent des héros – et martyrs : Garros, le 5 octobre 1918, Guynemer avant lui (le 11 septembre 1917), à bord de son « Vieux Charles [8] », perdront la vie au combat. L’aviation militaire aura gagné ses titres de noblesse durant le premier conflit mondial, mais y aura perdu nombre de ses fleurons. « Guynemer appartient désormais à la légende », écrit Cocteau tandis que Benito représente l’aviateur français montant au ciel.

Guynemer

Réformé mais patriote, Cocteau écrit à sa mère le 7 août 1914 : « rien au monde (et pour l’avenir) ne peut me blesser plus que de ne pas partir avec les autres [9] ». Engagé à la Croix-Rouge, puis versé dans le service auxiliaire, il se porte volontaire pour la Section d’ambulances aux armées avec laquelle il part pour le front de Flandres. De retour à Paris, il est détaché auprès du service de propagande du ministère des Affaires étrangères en septembre 1916 et ne reverra plus le front jusqu’au 2 juillet 1918, date à laquelle il est définitivement réformé.

Jean-François Charcot, bibliothécaire-adjoint

 

[1] Société Pour l’Aviation et ses Dérivés. Précédemment Société de Production des Aéroplanes Deperdussin, elle changea de nom après la faillite de Deperdussin en 1914.
[2] Dans le ciel de la patrie, Paris, Draeger, 1918. Texte de Jean Cocteau, illustrations de Benito, croquis d’appareils de Capelle. Cote BMA : P 276. Un texte de Jacques Mortane : Du sport à la guerre : grâce à la vitesse, complète l’ouvrage.
[3] Jean COCTEAU, Lettres à sa mère. I, 1898-1918, Gallimard 1989, p. 316.
[4] Dans le ciel de la patrie.
[5] Les moyens de communication, en plein essor durant le conflit, seront une source d’inspiration vivace pour les artistes. La télégraphie sans fil notamment trouve à se développer dans l’aviation militaire (un poteau télégraphique est reproduit dans les Calligrammes de Guillaume Apollinaire).
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Nom donné au modèle de monoplace SPAD à bord duquel a été abattu Georges Guynemer. Exposé dans la cour d’honneur des Invalides le 19 octobre 1917, cet avion, propriété du musée de l’Armée, est aujourd’hui en dépôt au Musée de l’air et de l’espace du Bourget.
[9] Jean COCTEAU, Op. cit., p. 152.
Photo (C) Paris – Musée de l’Armée © Droits réservés