09 07 2018

Focus sur les collections de photographies : la guerre de Crimée (1854-1856)

Le musée de l’Armée conserve un ensemble de de 88 photographies relatives à la guerre de Crimée (1854-1856), issues de différentes collections originelles. Par la diversité de leurs auteurs, de leurs sujets mais également de leurs anciens propriétaires, elles permettent non seulement de dresser un panorama de la représentation photographique de ce conflit mais aussi, et c’est ce qui nous intéresse ici, d’appréhender la circulation des photographies de la guerre de Crimée en France et en Angleterre à la fin du conflit.

Roger Fenton, groupe de chasseurs d'Afrique, 1855

Opposant d’abord la Turquie à la Russie en une lutte contre les ambitions ottomanes russes, la France et l’Angleterre entrent dans la guerre de Crimée le 28 mars 1854 et décident de frapper un point stratégique en mer Noire : le port de Sébastopol. Après une première bataille aux environs de la rivière de l’Alma, les russes se retranchent dans la ville de Sébastopol : les troupes alliés tiendront un siège de dix mois qui se soldera par la chute de Sébastopol le 8 septembre 1855 mettant fin à la campagne de Crimée.

En dépit des conditions exécrables et des mises en œuvre techniques laborieuses, plusieurs photographes partent pour la Crimée dans l’objectif de réaliser des épreuves photographiques et documenter le conflit.  S’ils répondent aux mêmes défis, ils ne sont néanmoins pas animés par les mêmes motivations : politiques, artistiques ou commerciales, ces dernières sont déterminantes pour leur diffusion et font appel à des enjeux photographiques différents mais tous insérés dans les problématiques de la société du milieu du XXe siècle. La collection du musée de l’armée permet d’embrasser différents systèmes de diffusion et les enjeux qui leur sont liés.

Les photographies de Crimée dans les cercles du pouvoir : la reine Victoria et Napoléon III.

Conflit éloigné se déroulant dans des conditions douloureuses pour les troupes, les critiques à l’encontre du bon déroulement de la campagne ne tardent pas à émerger dans la presse britannique, notamment sous la plume du journaliste William Russel. La reine Victoria confie alors à Roger Fenton un reportage photographique destiné à convaincre l’opinion publique du bien-fondé du conflit. Débarqué en Crimée en mars 1855 muni de son « photographic van » et accompagné de deux assistants, Fenton revient en juin 1855, épuisé, mais avec 360 clichés. Ces derniers sont accueillis de manière très enthousiaste par le pouvoir anglais et sont exposés au Pall Mall de Londres dès octobre 1855 où ils ne manquent d’être remarqués.

Napoléon III demanda alors à rencontrer Roger Fenton et son éditeur William Agnew, qui finança très certainement son reportage, et les reçus dans son palais de Saint Cloud en septembre 1855. L’Empereur, qui avait déjà manifesté un intérêt certain pour la photographie, observa avec la plus grande attention la collection présentée par le britannique. C’est très certainement à l’issue de cette audience qu’il décida d’envoyer des photographes français en Crimée. Lorsque ces derniers furent de retour en France, ils ne manquèrent pas d’adresser à l’Empereur un des albums de leur production photographique. Ainsi Léon-Eugène Méhédin, assistant du peintre Jean-Charles Langlois dans la réalisation de prises de vues préparatoires à la réalisation d’un panorama peint, soumet-il à Napoléon III – en son nom propre – un album de photographies intitulé Galerie historique du règne de Napoléon III.

Jean-Charles Langlois, cimetière de Sébastopol, 1855

Au-delà d’une vertu documentaire, les souverains britanniques et français prennent conscience du potentiel de la photographie comme outil de communication et de propagande. S’ils sont à l’origine des commandes et que les photographes ne manquent pas de leur rendre hommage, c’est la presse qui assure la diffusion des photographies rapportées de Crimée.

La presse : un terrain de diffusion officielle

Reproduites par la gravure dans la presse illustrée, les photographies de Crimée paraissent dès septembre 1854 avec des photographies de James Robertson représentant les troupes anglaises en partance pour la Crimée stationnées dans un quartier de Constantinople. Ses clichés paraîtront tout au long de l’année 1855, répondant ainsi à la forte demande de la part du public. Déjà la presse avait très favorablement accueilli l’annonce du reportage de Roger Fenton à son départ, créant ainsi une attente de l’opinion publique. Avec la Crimée, la guerre investit les foyers à travers les représentations visuelles, récits et chroniques hebdomadaires des correspondants de presse. En se concentrant sur la représentation des paysages de guerre, sur le quotidien des armées sur le terrain et les portraits, la photographie délaisse la bataille, laissant l’épopée et l’héroïsme à la peinture d’histoire des Salons et rotondes de panoramas.

Marie Lamassa
Assistante d’exposition
Cabinet des dessins, estampes et photographies

Image 1 : Roger Fenton (1819-1869), Groupe de chasseurs d’Afrique en Crimée, épreuve sur papier albuminé, 1855, H. 18,6 ; L. 24 cm, Inv. 993.121.67, ancienne collection Vanson. Photo © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Christian Moutarde.
Image 2 : Jean-Charles Langlois et Léon Méhédin, Cimetière du Génie, épreuve sur papier salé, vers 1855-1856, H. 23,8 ; L. 32 cm, Inv. 2011.16.3, achat. Photo © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Christophe Chavan.