03 06 2019

Max Barel, par Janine Portal

Récemment acquise par la bibliothèque du musée de l’Armée, la biographie de Max Barel par Janine Portal dresse le portrait d’un homme tôt engagé dans la Résistance, qui connut une fin tragique entre les mains de la Gestapo en 1944. Le portrait de Barel illustrant la couverture de l’ouvrage est l’œuvre de Pablo Picasso.

Né à Menton le 4 juillet 1913 de parents instituteurs, Max Barel est tôt sensibilisé aux idées socialistes. Proche de son père Virgile (1889-1979), député communiste des Alpes-Maritimes, à qui une « camaraderie étonnante »[1] l’unit, il suit celui-ci dans les déplacements que son militantisme l’amène à faire. A Polytechnique, où il est reçu en 1933, on le perçoit comme « ‘le communiste’ de l’Ecole – une espèce d’anomalie monstrueuse »[2]. La « promotion 33 » se signale en effet par un engagement politique marqué à gauche. En 1935 Barel entre à l’Ecole d’application d’artillerie de Fontainebleau. En 1939 il publie (sous anonymat) dans la revue marxiste La Pensée, une courte étude : « Le char de combat », dans laquelle il analyse les usages modernes des chars, à la lumière notamment de la récente guerre civile espagnole[3]. Lieutenant d’artillerie en 1940, Max Barel combat durant la bataille de France. Fait prisonnier, il s’évade par trois fois et obtient la croix de guerre avec citation. A la signature de l’armistice, il demande son congé de l’armée (mais pas d’être rayé des cadres), refusant de « rester dans l’armée de l’armistice, armée sous contrôle étranger… »[4]. En 1941, reversé dans le civil, Max Barel est nommé chef de la plate-forme d’essais des Ateliers de constructions électriques de Delle. Responsable au sein de l’U.C.I.F.C. (Union des Cadres Industriels de la France Combattante, créée en juillet 1943), il s’emploie à mobiliser les cadres de l’industrie afin de ralentir la production mise au service des allemands. En mars 1944, recherché par la police française, Barel doit vivre dans la clandestinité. Arrêté le 6 juillet à la sortie de la gare de Perrache à Lyon, conduit au siège de la Gestapo, place Bellecour, il sera torturé par Klaus Barbie et ses deux assistants français, Max Payot et Marcel Moyne. On sait par les aveux que fit ce dernier à la Libération que Barel tenta de se suicider, aussi, qu’il ne livra aucun nom. Max Barel meurt, probablement le 11 juillet, à 31 ans. Moyne, condamné à mort le 9 juillet 1946, se voit gracié le 15 novembre de la même année, provoquant l’indignation des anciens résistants. Virgile Barel, qui fut arrêté dès 1939 et connut 13 prisons jusqu’à sa libération en 1943, pourra dire à l’Assemblée nationale : « peut-être quelque haineux et vil personnage dira-t-il ou écrira-t-il que nous faisons du battage avec nos morts. Nous, nous disons avec force qu’il ne faut pas qu’ait été vain le sacrifice de nos martyrs et de nos héros »[5]. C’est dans ce contexte que germe l’idée d’une publication à la mémoire de Max Barel.

Une plaquette pour témoigner

La plaquette est éditée aux Editions de la colombe blanche en 1951 à l’initiative des anciens condisciples de Max Barel à Polytechnique. L’un d’eux, Maurice Rousselier, chef régional paramilitaire en région R4 puis en région R5 sous le nom (et grade) de « colonel Rivier », demande à son épouse Janine, récente auteure d’un roman policier[6], de rédiger la biographie de Max. Les anciens X souhaiteraient illustrer leur hommage d’un portrait par Picasso. Virgile Barel, ami du peintre, lui transmet leur demande (le 20 décembre 1950) : « Mon cher camarade Picasso. Des ingénieurs et officiers anciens élèves de Polytechnique camarades de promotion de mon grand fils Max torturé et tué par la gestapo et les miliciens vont éditer une brochure, dont le texte est magnifique, sur la vie de mon garçon. Ils voudraient l’illustrer avec un dessin de toi. Je viens te le demander »[7].  Virgile Barel n’aura de cesse de faire connaître la vie de son fils, et partant de faire juger ses tortionnaires, au premier chef desquels Klaus Barbie, alors exfiltré en Bolivie. La publication répond à ce double objectif, qui lui permet de « réveiller les consciences et d’éloigner l’esprit d’amnistie : il la distribue autour de lui à toutes occasions, non seulement pour sauvegarder la mémoire de son fils, mais pour stimuler la chasse aux criminels qu’il appelle de ses voeux »[8].  Virgile Barel meurt en 1979, le procès de Klaus Barbie ne s’ouvrira à Lyon qu’en mai 1987.

Picasso fait de Max Barel un portrait à la fois épuré et stylisé, sans doute réalisé d’après photographie. Virgile, à la réception de l’œuvre en avril 1951, pouvait écrire à Picasso : « je suis sûr que notre petit livre poursuivra le combat de mon fils »[9]. Ces mots encadraient ceux précédemment écrits par Elo, sa seconde épouse : « C’est beau : le visage de Max. Volonté – Intelligence – Pureté – Douceur »[10].

L’ouvrage est par ailleurs présenté dans l’exposition Picasso et la guerre, au musée de l’Armée jusqu’au 28 juillet 2019.

Jean-François Charcot
Bibliothécaire

[1] PORTAL, Janine, Max Barel, Editions de la colombe blanche, p. 31.
[2] CARDON, Charles-Marie, La courte vie, la longue mort de Max Barel, héros de France, Paris, Editions Sociales, 1973, p. 72.
[3] « Le char de combat », in La Pensée. Revue du rationalisme moderne, « Etudes militaires », n° 2, juillet-août-septembre 1939.
[4] CARDON, ibid., p. 112.
[5] Assemblée nationale. 2e séance du 16 novembre 1950.
[6] ROUSSELIER, Janine, L’assassin ne tue pas les femmes, Paris, La nouvelle édition, 1947.
[7] Archives du Musée national Picasso-Paris, 515 AP/C/9/40.
[8] Charvin Robert, « Un Virgile Barel », in : Cahiers de la Méditerranée, n° 55, 1, 1997 : « Destins niçois » [actes du colloque de Nice, 13-14 décembre 1996], p. 54.
[9] Archives du Musée national Picasso-Paris, 515 AP/C/9/40.
[10] Archives du Musée national Picasso-Paris, 515 AP/C/9/40.