04 12 2018

Une armure, trois saintes

Le musée de l’Armée conserve dans ses collections une très belle armure issue des ateliers milanais de l’une des plus grandes dynasties d’armuriers de la Renaissance, les Missaglia. En ce jour de la sainte Barbe, présentation d’une armure aux décors aussi précieux qu’énigmatiques.

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Vue en pied © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier

Réalisée entre 1510 et 1515, cette armure en acier n’était pas destinée à la guerre mais aux joutes. La joute est une des épreuves à laquelle les chevaliers pouvaient participer lors des tournois occidentaux. On distingue la joute à cheval et la joute à pied. La joute « à la barrière » est un type de joute à pied où les combattants s’affrontaient chacun de part et d’autre d’une barrière arrivant à la taille, à la hache ou à la masse d’armes. Cet affrontement suivait généralement la joute à cheval.

Une même armure pouvait être adaptée pour chacune des épreuves avec différents type de pièces, tel un puzzle avec plusieurs combinaisons possibles. Telle qu’elle est présentée aujourd’hui, cette armure devait servir pour la joute à pied. En effet, l’ensemble d’éléments articulés protégeant les bras et les tassettes descendant sur la moitié des jambes suggèrent des défenses conçues pour une plus grande liberté de mouvement et pour le combat rapproché. D’autre part, les trois trous sur le haut du côté droit de la cuirasse sont les points de fixation de l’arrêt de cuirasse, sorte de crochet servant à maintenir la lance à l’horizontale lors de la joute à cheval, monté et démonté en fonction des besoins du chevalier.

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Plastron © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier

Ce harnois dite alla tedesca est une armure « de style allemand ». En effet, bien qu’il soit réalisé dans un atelier italien et par des armuriers milanais, les caractéristiques stylistiques de cette pièce font penser à un travail d’inspiration germanique. Effet de mode ou volonté du commanditaire, cet objet présente sur le plastron et la dossière des nervures rayonnantes depuis la taille, mais également sur le casque à soufflet, dont une crête très prononcée sur le haut du crâne, et sur les défenses de bras. Quant aux défenses de jambes, elles sont facettées longitudinalement, avec une alternance entre des bandes plates et des bandes gravées et ciselées sur un fond doré. Ces motifs ornent l’intégralité de l’armure, jusque sur la défense de tête. Il s’agit de motifs végétaux à base de rinceaux et de fleurs auxquels se mêlent des trophées musicaux (tambours, instruments à vent…) et guerriers (casques, carquois…).

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Dossière © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier

Sur le haut de la dossière dans des médaillons circulaires, trois profils à l’antique sont gravés. Deux guerriers portent des casques rappelant ceux des dessins de Leonard de Vinci [1]. Le profil féminin renvoie aux nombreux portraits de profils de la Renaissance tels que le Portrait de Simonetta Vespucci par Piero di Cosimo ou Le Duc et la Duchesse d’Urbino par Piero della Francesca. Sur le haut du plastron, une inscription en lettres capitales entrecoupée de motifs végétaux est gravée : « O MATER DEI MEMENTO MEI » [2]. Cette prière est surmontée par un ensemble de trois panneaux contenant chacun une sainte gravée. Au centre, une Sainte Vierge à l’Enfant. Elle tient un livre ou un reliquaire tandis que Jésus tient un orbe crucifère. A sa droite, sainte Barbe se tient debout à côté d’une tour, un ciboire avec une hostie marquée d’une croix dans les mains [3]. A sa gauche, sainte Marthe tient un bâton formant une croix, avec à ses pieds un dragon, la Tarasque qu’elle a vaincue à Tarascon.

La qualité du travail du métal et des gravures, la richesse iconographique ainsi que la dorure suggèrent une commande pour une personnalité importante. Le choix des saintes sur le haut plastron a peut-être un lien avec les saintes patronnes de la famille du commanditaire ou alors avec les saintes dont le commanditaire recherchait la protection. Dans tous les cas, sainte Marthe semblait tenir une place importante pour celui-ci puisque nous la retrouvons gravée sur chaque cubitière. Selon la tradition provençale, après la mort du Christ, Marthe se serait établie en Provence où une collégiale royale fut élevée sur sa tombe à Tarascon. En dépit de ces quelques indices, il n’a pas été possible jusqu’à ce jour d’attribuer cette pièce à un personnage en particulier.

Cyrielle Daehn, département artillerie

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Retrouvez la notice de cette armure sur la base de données des collections du Musée

[1] : Dessin de Léonard de Vinci, Buste de guerrier, v. 1475-1480, conservé au British Museum.
[2] : « Oh Mère de Dieu souviens-toi de moi ». Il s’agit d’une prière qui était adressée à la Vierge Marie, notamment pour s’assurer de la victoire contre des ennemis. Une formule qui trouve tout son sens sur le plastron de cette armure.
[3] : Cette iconographie n’est pas la plus courante. En effet, sainte Barbe est plus souvent représentée avec un livre ou une palme de martyre qu’avec un ciboire dans les mains comme dans une œuvre de Lucas Cranach l’Ancien de 1506, sur un panneau du Tryptique de Sainte-Catherine, avec saintes Ursule et Marguerite.