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24 08 2021

De l’administration préfectorale à l’Afrique-Equatoriale française : la tunique du gouverneur général des colonies Edouard Renard

Riches et diversifiées, les collections d’uniformes du musée de l’Armée se distinguent aussi par la présence de nombreuses pièces remarquables, témoins matériels de parcours individuels, tantôt brillants, parfois tragiques. C’est le cas de cette tunique de gouverneur général des colonies ayant appartenu à Edouard Renard.

N° d’inventaire : 2019.0.189

Photo (C) Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier

Edouard Renard, de son nom de baptême Georges, Edouard, Alexandre Renard, naît le 3 août 1883 à Oran, en Algérie. Fils de Jules-Edouard Renard, instituteur puis directeur d’école, vétéran de la guerre de 1870 et ancien communard déporté en Nouvelle-Calédonie, Edouard Renard suit sa scolarité en Algérie puis en métropole où il intègre le lycée Louis-le-Grand, à Paris. Il étudie les lettres, devenant doctorant, et le droit à l’Université de Toulouse. Le jeune Edouard Renard enchaîne ensuite différents emplois. En 1904, il est ainsi surveillant d’internat au lycée Michelet de Vanves. L’année suivante, en 1905, il entame ce qui sera une longue et brillante carrière au service de l’État. Il rejoint, en effet, en tant qu’attaché, le cabinet du ministre de l’Intérieur puis celui du Président du Conseil en 1906.

[Édouard] Renard (police) [nommé directeur de la Sûreté générale en avril 1927] : [photographie de presse] / [Agence Rol] Agence Rol. Agence photographique

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

La carrière d’Edouard Renard prend un nouveau tournant en 1909. Le 21 juillet, il intègre l’administration préfectorale, devenant sous-préfet du Blanc, dans l’Indre. Il est ensuite nommé dans l’Aude, comme sous-préfet de Limoux le 3 mars 1914, puis de Narbonne le 26 septembre 1918. En 1923, il poursuit son action dans ce même département, devenant préfet le 12 avril. Après trois ans à la tête du département de l’Aude, Edouard Renard, fait chevalier de la Légion d’honneur en 1925, prend, en août 1926, la direction du cabinet du ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut. En décembre, il devient directeur du personnel et de l’administration générale du ministère de l’Intérieur, puis directeur de la Sûreté générale le 14 avril 1927. Le 19 février 1929, il est nommé préfet de la Seine (note 1). A la tête de cette préfecture, Edouard Renard s’illustre notamment dans l’aménagement de la capitale, poursuivant le démantèlement de l’ancienne enceinte permettant l’édification d’habitations dites « à bon marché », l’extension du réseau de métro ou encore la construction d’équipements publics. Surnommé par certains « le nouveau Haussmann » (note 2), le préfet de la Seine agit également en faveur de l’assistance médicale et s’investit dans la préparation de l’Exposition coloniale de 1931. Cette même année, son action est de nouveau honorée. En effet, par décret du 10 janvier 1931, Edouard Renard est élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur. C’est son ami et proche collaborateur, le préfet de police de Paris, Jean Chiappe, qui le décore le 4 mai. C’est d’ailleurs au lendemain de la révocation de ce dernier le 3 février 1934, qu’Edouard Renard, mécontent de cette décision, démissionne de son poste.

Le départ pour l’Afrique-Equatoriale française

Au cours de cette même année 1934, l’ancien préfet s’embarque dans une nouvelle aventure, loin de Paris et de la métropole. Le 17 juillet, Edouard Renard est en effet nommé gouverneur général de l’Afrique-Equatoriale française (A.-E.F.). Créée en 1910, elle rassemble, sur 2 500 000 kilomètres carrés – plus de quatre fois la superficie de la métropole –, les quatre colonies du Gabon, du Moyen-Congo, de l’Oubangui-Chari et du Tchad. A la tête de l’Afrique-Equatoriale française, le gouverneur général, basé à Brazzaville, représente l’État et administre le territoire en son nom.

Le 11 septembre 1934, peu de temps avant son départ pour l’A.-E.F., Edouard Renard fait fabriquer son nouvel uniforme, dont fait partie la tunique conservée au musée de l’Armée. Il s’agit d’une tunique de tenue de service d’hiver, conforme à la description succincte faite en décembre 1933 dans le Bulletin officiel du ministère des Colonies. Confectionnée par le tailleur parisien H. Martin, cette tunique en drap de laine dit « bleu national » se ferme par neuf boutons en métal doré arborant les armes de la République française. Elle comporte, au collet, cinq fixations métalliques pour faux col, ainsi que trois agrafes de fermeture en métal. Les parements de manches, tout comme le collet, sont ornés de broderies en cannetille dorée figurant des feuilles de pensées, surmontées d’une baguette dentelée entre deux câbles. Ils comportent trois rangs de broderies, identifiant un gouverneur général. Deux épaulettes, ornées elles aussi de cannetille, arborant l’insigne propre aux colonies adopté en 1922 – une ancre surmontant un croissant – sont fixées sur la tunique. L’étiquette nominative cousue dans la poche intérieure droite permet d’identifier Edouard Renard comme son ancien propriétaire.

Edouard Renard, qui, le 25 septembre 1934, quitte Paris au milieu de la foule venue le saluer (note 3), est attendu par la population d’Afrique-Equatoriale française. Celle-ci garde en effet un sombre souvenir de son prédécesseur, Raphaël Antonetti, qui dirigeait la colonie depuis 1924. Antonetti est, dans l’esprit des populations locales, le responsable des recrutements forcés pour la construction du chemin de fer Congo-Océan de 1923 à 1934, mais aussi de la lutte contre André Matswa et ses partisans anticolonialistes. Ce dernier, ancien tirailleur dans l’armée française, est le fondateur, en 1926, de l’Amicale des originaires de l’Afrique-Equatoriale française, société d’entraide au profit des anciens combattants de l’A.-E.F. L’Amicale devient cependant rapidement un groupe politique anticolonial et est dissoute, alors que Matswa est jugé en 1930, dans un climat de contestations, de grèves et d’émeutes en A.-E.F. Arrivé à Brazzaville le 18 octobre 1934, Edouard Renard se montre visiblement plus souple que son prédécesseur, allant même jusqu’à tolérer l’Amicale. A la tête de la colonie, il agit également en faveur de l’instruction et de la santé, faisant notamment construire plusieurs écoles et des dispensaires à Brazzaville. Si ces mesures ont des retombées positives pour les populations autochtones et la colonie, elles profitent avant tout à la puissance impériale française.

Une fin tragique

L’action d’Edouard Renard en A.-E.F. n’est cependant que de courte durée et prend fin tragiquement. Depuis son arrivée à Brazzaville, le gouverneur général s’attache à parcourir le territoire de l’A.-E.F. pour mieux le connaître. Ainsi, au matin du 15 mars 1935, accompagné de son épouse, du chef de bataillon Alfred Bonningue, chef de sa Maison militaire, et de quatre membres d’équipage, Edouard Renard prend place à bord de l’avion trimoteur Bloch 120 mis à sa disposition un mois plus tôt. L’avion décolle de Brazzaville pour une tournée d’inspection en direction du Tchad. Mais alors que l’appareil suit le fleuve Congo vers le nord, les opérateurs radio perdent le contact avec l’avion, pris dans une tornade, environ 1h30 après son décollage.

Bien que des recherches soient lancées au soir du 15 mars, ce n’est que le 19 qu’un avion belge repère les débris du trimoteur qui s’est écrasé près de Bolobo, au Congo belge (aujourd’hui République démocratique du Congo). Alors que la France cite le gouverneur général, le chef de bataillon Bonningue et les quatre membres d’équipage à l’ordre de la Nation, les premières équipes franco-belges se rendent sur les lieux du crash le 22 mars 1935. Les sept corps sont rapatriés à Brazzaville, où des premières obsèques ont lieu, puis en métropole. Un hommage est ensuite rendu aux défunts dans la cour d’honneur du ministère des Colonies, à Paris. Le 20 avril 1935, la France salue une dernière fois la mémoire du gouverneur général Renard et des victimes du crash du 15 mars sur l’esplanade des Invalides, où défilent les troupes militaires, sous les yeux du ministre des Colonies, Louis Rollin. Le corps du gouverneur général est enfin inhumé à Somme-Suippe, dans la Marne.

Cette tunique conservée au musée de l’Armée aura ainsi été l’un des derniers uniformes portés par Edouard Renard, dont la brillante carrière au service de l’Etat s’achève brutalement en mars 1935. Si elles s’inscrivent en partie dans la période sombre de la colonisation française, les actions du gouverneur général sont saluées par la presse suite à son décès, qui souligne sa simplicité et son implication. Pour perpétuer sa mémoire, le nom d’Edouard Renard est notamment donné à une place du XIIe arrondissement de Paris dès 1935, mais aussi, à Brazzaville, dans l’ancienne capitale de l’Afrique-Equatoriale française, à une école et à une avenue, toujours dénommée ainsi.

Romain Poudray
Département inventaire, diffusion et histoire des collections

Bibliographie indicative :
– DEBOFLE P., Un grand commis de l’État : Edouard Renard (1883-1935), préfet de la Seine et gouverneur général de l’Afrique équatoriale française, In Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, Paris, 1983, pp. 317-341.

– MINISTERE DES COLONIES, Rapport au Président de la République française suivi d’un décret fixant l’uniforme des Gouverneurs généraux, des Gouverneurs des Colonies et des Résidents supérieurs, Paris, 17 décembre 1933, In Bulletin officiel du Ministère des Colonies, 47e année, 1934, pp. 1736-1740.

– RIOU J.-P. (dir.), Dictionnaire de la France coloniale, Paris, Flammarion, 2007.

– La notice d’œuvre de la tunique

Note 1 : Jusqu’en 1968, le département de la Seine rassemble les actuels départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Le préfet de la Seine, qui administre cet ensemble ainsi que la Ville de Paris (celle-ci n’ayant plus de maire de 1871 à 1977), a une importance considérable. En 1926, le département rassemble plus de 4 millions d’habitants.

Note 2 : Le Journal n° 15399 du 15 décembre 1934, p. 6b ; Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris n° 30 du 7 février 1934, p. 808.

Note 3 : Le Journal n° 15319 du 26 septembre 1934, p. 2.