06 04 2017

Ángel Hernández García, dit Hernán. Sculpter la mémoire de la déportation

Les chantiers de récolement effectués au sein des Musées de France sont bien souvent l’occasion de redécouvrir des collections dans leur intégralité. Celui des sculptures du musée de l’Armée, effectué en 2016 a permis entre autres d’identifier trois œuvres d’Ángel Hernández García, dit « Hernán », déporté politique espagnol au camp de Mauthausen en 1943.

Né à Madrid en 1912, il a 24 ans lorsque la guerre civile espagnole éclate pendant l’été 1936. Il s’exile en France, dans le Roussillon, puis à Bordeaux où il est arrêté en 1943 par les autorités du régime de Vichy. Il sera ensuite déporté au camp de Mauthausen, en Autriche, en tant que prisonnier politique. Infirmier de formation, il y est alors employé dans une annexe hospitalière au sud du camp, abritant un nombre croissant de prisonniers malades et blessés. À la libération, ne supportant plus cette fonction, il s’oriente vers la coiffure, renouant avec le métier de son père. Ce n’est qu’à sa retraite qu’il se tourne vers la sculpture, qu’il avait alors étudiée plus jeune à Madrid, à la Escuela de Artes y Oficios, aujourd’hui École publique Artediez [1].

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Les trois œuvres conservées au musée de l’Armée (inv. 20805, 20805/1 et 20805/2) mettent en scène des personnages dénudés et filiformes, conçus en papier mâché sur des armatures métalliques, et repeints en blanc. La première, intitulée Travail et solidarité, représente deux hommes : un personnage assis, la tête courbée, porte une bêche, tandis qu’un second, debout, place sa main gauche sur son épaule et tient une pelle dans sa main droite. Similaire à une autre de ses compositions appelée L’entraide des faibles, elle se rapproche également de ses Prisonniers à la carrière [2], où l’auteur représente des scènes dont témoignent les survivants du camp : les prisonniers sont nus, portant des blocs de pierre ou frappant fébrilement le sol à l’aide d’une pioche. Ces scènes rappellent à la mémoire la pratique de l’extermination par le travail forcé dans la carrière de pierre de Wienergraben, et lors de l’ascension du dénommé « escalier de la mort ».

La seconde œuvre représente deux personnages, l’un assis et les mains levées au ciel, l’autre debout, un bras en l’air. Deux vers tirés du poème de Louis Aragon La Rose et le Réséda, paru en mars 1943, ont été utilisés pour la désigner : Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas. Composé sous la forme d’une antépiphore, ce refrain y est redondant en début de chaque vers et insiste sur sa portée : celui de l’exhortation à l’union, au-delà des différences, dans la lutte contre l’occupant. Hernandez Garcia fait ici de ce texte de résistance et de solidarité le cœur de son œuvre : il représente ainsi deux personnages, aux croyances contraires, pourtant confrontés à un destin commun.

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Le titre de la troisième œuvre, Les femmes et les enfants aussi, se fait quant à lui l’écho de la scène représentée : un personnage féminin portant dans les bras un enfant, ainsi qu’un second enfant s’agrippant à ses jambes. C’est ici l’arrestation et la déportation de civils sous l’occupation allemande et le gouvernement de Vichy qui sont évoquées par l’auteur. Leur passage au sein du camp de Mauthausen, exclusivement masculin depuis son ouverture en 1939, est établi dès 1940 sur de courtes périodes [3].

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Trois œuvres, trois thématiques liées à l’incarcération subie par leur auteur. Le style de ces pièces se distingue toutefois d’autres sculptures du même auteur, peintes cette fois-ci, représentant des maquettes architecturales ou des petites scènes du quotidien du camp de Mauthausen. Contrairement à ces dernières, les trois œuvres du musée de l’Armée, épurées et anonymes, évoquent plutôt l’universalité des personnages représentés, tel un travail de partage de mémoire global sur la déportation et l’internement.

L’Œuvre d’Ángel Hernández García pose ainsi la question de la postérité du témoignage artistique lié à la déportation. Dans les années 1960-70, l’auteur travaillera intensivement à la mise en mémoire de l’internement des anciens combattants de la République Espagnole. Le monument qui leur est dédié à Mauthausen, érigé en 1962, s’en fait l’écho ; ces statuettes, qu’il donne en 1971 au musée de l’Armée, témoigne également de cette volonté.

Enora Gault, assistante au département Iconographie

[1] Supervivencia, testimonio y arte. Españoles en los campos nazis, Catalogue d’exposition, Centre documentaire de la mémoire historique, Salamanque, du 26 avril au 30 mai 2010, Ed. du Ministère de la Culture espagnol, Salamanque, 2010.
[2] Ibid.
[3] Lors de l’épisode du « convoi des 927 d’Angoulême », le 24 août 1940, des familles espagnoles sont déportées à Mauthausen, incluant ainsi des femmes, des enfants, et des vieillards.

Photo © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais/Thierry Ollivier © Droits réservés