20 05 2016

Acquisition : photographies allemandes de la guerre de 1870-1871

Le musée de l’Armée vient d’acquérir 93 photographies témoignant de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Produites par un ou plusieurs opérateurs allemands et réunies en album, elles constituent une vision inédite et exceptionnelle du conflit photographié quelques jours après les évènements.

Montées dans un album titré « Ansichten vom Kriegsschauplatze 1870-1871. Aufnahmen nach der Natur[1] », ces photographies détaillent les lieux des principaux affrontements entre les armées françaises et prussiennes : Wörth, Frœschwiller, Reichshoffen, Strasbourg, Sedan, Metz, Bazeilles, Gravelotte, Rezonville, Saint-Cloud, le fort d’Issy, Versailles, etc.

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Elles ne s’inscrivent toutefois plus dans le temps de la guerre mais celui de l’après et montrent les conséquences et les à-côtés de la bataille : ruines des villes bombardées et détruites par les combats telles que Strasbourg ou Bazeilles ; troupes en marches ou en situation d’occupation des lieux immédiatement conquis ; prises de guerre et trophées (matériels d’artillerie) ; tombes de soldats prussiens tombés lors des opérations ; vues générales des différents champs de bataille ; citadelles conquises ; hôpitaux de campagne ; château de Versailles transformé en hôpital ; château de Saint-Cloud détruit.

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Le combat, la blessure et la mort sont éludés ou édulcorés. Les cadavres ont été retirés et inhumés, les blessés évacués et les différents effets militaires ramassés comme le voulait la règle. Le champ de bataille apparaît ainsi assaini et en voie d’organisation. Leur proximité avec l’évènement, de l’ordre de quelques jours, livre toutefois au « regardeur » un état des lieux privilégié car toujours sous emprise militaire. Cet état résulte-t-il de l’impossibilité pour les photographes de suivre les troupes en temps réel[2] pour des raisons techniques[3] voire politiques ? S’agit-il d’une commande particulière ? En l’absence de précisions quant à l’intention qui a présidé à la réalisation de cet album, son analyse demeure délicate pour l’historien. Plusieurs indices nous guident néanmoins pour son étude. La proximité de l’auteur avec les troupes prussienne semble évidente tant l’attention apportée à présenter l’armée et son organisation sous un jour favorable est patente. Les photographies d’hôpitaux de campagne dévoilent ainsi le soin apporté aux blessés ou du moins l’image qui doit en être donnée, loin des réalités du champ de bataille. L’importance consacrée à la représentation du château de Versailles occupé revêt une dimension politique qui renvoie à la proclamation de l’Empire allemand dans la galerie des glaces le 18 janvier 1871.

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Regard autorisé et partisan posé sur le conflit, cet album apparaît comme un manifeste de la victoire prussienne et constitue autant un élément du « triomphe » qu’une prise de possession symbolique du territoire conquis. L’exhaustivité des lieux représentés, la variété des sujets et le court délai de réalisation après les combats font de cet ensemble de photographies un témoignage unique dans les représentations de la guerre de 1870. Il complète de façon opportune les collections de photographies, dessins et peintures de l’établissement, déjà riches de nombreuses œuvres françaises et contribuera à la double lecture française et allemande de la guerre franco-prussienne qui constituera un des principes de l’exposition que le musée de l’Armée présentera sur le sujet au printemps 2017.

Anthony Petiteau
Responsable des collections de photographies

[1] « Vues du théâtre de la guerre 1870-1871. D’après nature », photographe(s) anonyme(s), édité par la maison Friedrich Bruckmann à Berlin et Münich, 93 épreuves sur papier albuminé montées dans un album relié cuir, H. 32 ; L. 40 cm, Inv. 2015.23.1, achat.
[2] Comme en Italie en 1859 ou en Chine en 1860, voir Napoléon III et l’Italie. Naissance d’une nation, Paris, Nicolas Chaudun, 2010 et https://collections.musee-armee.fr/acquisition-la-seconde-guerre-de-lopium-1860/
[3] La photographie à la chambre sur trépied, encombrante, lourde et peu mobile, et les conditions de la bataille ne permettent pas de photographier le mouvement et encore moins la bataille en 1870.