En 1914, René, Maurice et Pierre Charoy ont entre 20 et 25 ans lorsqu’ils sont mobilisés. Aucun de ces trois frères ne reviendra de la guerre et ne regagnera leur famille où une mère, une sœur et des amis les attendent. Le sort tristement commun de cette famille de la Meuse est sorti de l’oubli il y a quelques mois grâce à la générosité de leurs descendants qui ont fait don au musée de l’Armée d’un ensemble comprenant des pièces d’uniformes, plaques d’identités, documents et photographies relatifs à l’histoire de ces trois frères et leur famille pendant la Première Guerre mondiale.
En rejoignant les collections du musée, ce don vient enrichir la connaissance de ce conflit selon une perspective intime : il raconte une histoire de la guerre vue par un prisme familial, conférant aux objets une valeur sensible et mémorielle. Transmis comme un ensemble cohérent, les différentes composantes de ce fonds permettent une lecture croisée de l’histoire de cette famille. Les nombreuses photographies qui composent le fonds s’inscrivent au sein de la production amateur due aux soldats et officiers [1], « photographes de circonstance [2] » si nombreux pendant la Grande Guerre.
Décédé dès septembre 1914, Maurice Charoy n’a pas laissé de photographies. En revanche, à compter de 1915, René et Pierre se saisissent de leurs appareils et enregistrent leur quotidien sur les premières lignes, au cantonnement et, plus ponctuellement, auprès de leur famille durant leurs rares permissions. Disparu sur le front champenois en juin 1915, René n’a laissé qu’une cinquantaine de clichés relatant son expérience d’aspirant au 19e bataillon de chasseurs à pieds. Pierre Charoy, son aîné – mobilisé en tant que maréchal des Logis au 4e régiment des Hussards puis comme agent de liaison au 151e régiment d’infanterie – est l’auteur d’un ensemble plus important de clichés. Les sujets représentés attestent d’une pratique de la photographie envisagée comme une distraction prenant part à la vie quotidienne et aux moments de détente. Ses photographies procèdent également d’un possible besoin de témoigner de l’expérience des tranchées : ce que l’on voit, ce que l’on vit et, parfois, ce qui résulte de la guerre – la mort.
Au-delà de ses qualités documentaires et de son apport à la connaissance de la photographie amateur de la Grande Guerre, c’est l’intégrité du fonds qui constitue sa véritable richesse : aux tirages et négatifs viennent en effet s’ajouter des albums photographiques, vraisemblablement constitués par leur sœur, et des documents relatifs à la vie de la famille et aux frères disparus. D’un point de vue mémoriel, l’objet le plus marquant est sans aucun doute le portefeuille de Pierre Charoy, « en l’état » depuis sa mort des suites de la chute de l’avion qu’il pilotait en juillet 1917 [3]. Parmi ses notes personnelles, noms et adresses de camarades, fleurs séchées et photographies, Pierre conservait les lettres d’adieu de ses deux frères ainsi que ses propres volontés en cas de mort. La dimension émotionnelle d’un tel contenu confère à ce fonds une valeur mémorielle extrêmement forte. La cohérence de l’ensemble et les liens entre ses composantes permettent une transmission de la mémoire familiale respectant les fondements de sa mise en place.
Ce don contribue à l’écriture d’histoires sensibles et personnelles de la Grande Guerre, accordant une place à la mémoire individuelle au sein de la grande histoire [4].
Marie Lamassa, Cabinet des estampes, dessins et photographies
[1] On peut lire à ce sujet : FIESCHI Caroline, JOSCHKE Christian, PETITEAU Anthony, « Photographier la guerre en amateur. », dans Vu du front, représenter la Grande Guerre, Catalogue d’exposition, Musée de l’Armée, 15 octobre 2014 – 25 janvier 2015, Paris, Somogy éditions d’art, 2014. p. 79-88.
[2] LACAILLE Frédéric et PETITEAU Anthony, Photographies de poilus, soldats photographes au cœur de la Grande Guerre, Paris, Somogy éditions d’art, 2004, p.9.
[3] Pierre Charoy est breveté pilote aviateur par la Fédération Aéronautique Internationale le 29 mai 1917 puis fut pilote à l’escadrille N85.
[4] On peut lire à ce sujet l’ouvrage de GASPIN Jordan, Souvenirs et destins de Poilus, Collections du musée de l’Armée, Rennes, Editions Ouest-France, 2008.
Crédits photos : ©Paris – Musée de l’Armée