29 11 2020

« Für den Schutz der Arbeiter-und-Bauern-Macht* » : le casque modèle 56/66 de la Nationale Volksarmee

Les collections du musée permettent de retracer l’histoire d’armées parfois séculaires, mais aussi de forces presque éphémères et aujourd’hui disparues, comme celles de la République démocratique allemande. Trente ans après le démantèlement de la Nationale Volksarmee en 1990, retour sur l’histoire du casque modèle 56, symbole du soldat de la RDA.

 

À l’été 1945, à l’issue de la capitulation allemande, l’accord de Potsdam entérine la division de l’Allemagne vaincue et de Berlin en quatre zones d’occupation attribuées à l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) et aux trois puissances dites occidentales que sont les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Rapidement, les relations entre les anciens alliés de l’est et de l’ouest se dégradent, malgré des tentatives de conciliation lors de différentes conférences les réunissant. L’Allemagne occupée est – géographiquement mais surtout politiquement – au cœur de l’opposition entre les deux blocs qui se dessinent. La tension latente entre Occidentaux et Soviétiques se manifeste par différentes crises, notamment par le blocus de Berlin par l’URSS entre juin 1948 et mai 1949. Cette opération est mise en place à la suite de l’introduction, par les Occidentaux d’une nouvelle monnaie, le Deutschmark, à laquelle les Soviétiques s’opposent.

S’il est un échec pour l’Est, le blocus de Berlin contribue à accélérer le processus de division de l’Europe et en particulier de l’Allemagne. En effet, conformément aux discussions de la conférence de Londres de 1948, une assemblée constituante allemande réunie dans la Trizone occidentale adopte une constitution, fondant, le 23 mai 1949, la Bundesrepublik Deutschland (BRD) ou République fédérale d’Allemagne (RFA). Dans la zone soviétique, le même processus s’opère, donnant naissance, le 7 octobre 1949, à la Deutsche Demokratische Republik (DDR) ou République démocratique allemande (RDA). Dans un système d’Etat-parti, le parti socialiste unifié, le SED, met en place en RDA un régime communiste, satellite de l’URSS, dans lequel le contrôle de la population donne aux forces armées une place importante.

Une armée pour la République démocratique allemande

Dès le mois d’octobre 1948, l’URSS lance en effet une remilitarisation de sa zone d’occupation en Allemagne avec la création d’unités d’intervention de la police du peuple (Bereitschaften der Volkspolizei), équipées de matériel soviétique. Le 1er juillet 1952, suivant les directives du Kremlin, le ministre de l’Intérieur de la RDA, Willi Stoph, transforme ces unités en « police du peuple encasernée » ou Kasernierte Volkspolizei (KVP). Bien que la RDA ne dispose pas encore d’armée régulière à proprement parler, elle signe, le 14 mai 1955, avec l’Albanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et l’URSS une alliance militaire, le Pacte de Varsovie. Celui-ci est conclu comme une réaction à l’intégration de la nouvelle armée de la RFA, la Bundeswehr, dans l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN), alliance militaire des puissances occidentales. Quelques mois plus tard, la RDA décide de se doter de sa propre armée. Ainsi, le 18 janvier 1956, la loi sur la création de la Nationale Volksarmee (NVA) et du ministère de la Défense lui permet d’acquérir sa propre souveraineté militaire.

 

Soldats est-allemands du Nachrichtenregiment 14 “Harro Schulze-Boysen” rejoignant l’armée de réserve après leur service militaire obligatoire à Rotes Luch, Waldsieverdorf (RDA), le 27 octobre 1983. Chacun d’entre eux porte un casque modèle 56/66.
Attribution: Bundesarchiv, Bild 183-1983-1027-042 / CC-BY-SA 3.0

 

Dès sa création, pour ne plus être assimilée à l’armée soviétique, la NVA adopte de nouveaux uniformes et équipements pour ses soldats. Le casque est aussi concerné par ces modifications. Il s’agit précisément de remplacer le casque modèle 54, utilisé jusqu’alors par « l’ancêtre » de la NVA, la KVP, qui rappelle, dans sa forme, les modèles portés dans la Wehrmacht au cours de la Seconde Guerre mondiale. Les regards se tournent rapidement vers des prototypes mis au point à la fin de la guerre mais non adoptés par la Wehrmacht, en particulier les modèles dénommés B et B/II. C’est justement Erich Kiesen, employé au sein de la VEB Eisen und Hüttenwerke Thale, entreprise ayant produit les modèles d’étude B et B/II, qui est chargé du programme par la NVA. Ces prototypes, qu’Erich Kiesen connaît donc parfaitement, ont aussi l’avantage d’avoir été déjà conçus et testés. En outre, ceux-ci avaient été refusés par l’Oberkommando des Heeres et le Führer Adolf Hitler en 1944. Aussi, ces prototypes ne sont, aux yeux des cadres du régime, aucunement liés au IIIe Reich. Ils s’accordent donc avec la doctrine antifasciste défendue par la RDA.

L’adoption d’un nouveau casque

C’est ainsi le modèle B/II qui est choisi pour équiper les soldats de la NVA, lancé en fabrication en janvier 1956 sous le nom de Stahlhelm Modell 56 – en français « casque d’acier modèle 56 ». Ce nouveau casque, qui reprend la forme du modèle B/II aux parois très inclinées, s’en distingue par une taille plus importante et par un bord extérieur évasé. La bombe en acier embouti reçoit une coiffe en cuir copiée sur les modèles 44 mis au point à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette coiffe est montée sur un cerclage métallique, lui-même fixé par trois rivets sur la bombe. Quatre tampons en mousse néoprène, insérés entre le cerclage et la bombe permettent d’amortir les chocs. Une jugulaire de cuir en deux parties en forme de Y et se fermant par une boucle métallique assure le maintien du casque sur la tête. Le casque modèle 56 reçoit une peinture de teinte dite « gris pierre » (Steingrau) et porte, jusque dans les années 1960, sur le côté gauche, un blason aux couleurs du drapeau national est-allemand. Également produit avec une bombe en plastique porté lors de parades, le casque modèle 56 équipe progressivement tous les soldats de la NVA.

 

Casque modèle 56/66, n° d’inventaire 997.749 ; Photo (C) Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier.

Si ce nouveau casque modèle 56 répond aux attentes de l’armée est-allemande, notamment par ses très bons résultats balistiques, la NVA lance, à la fin des années 1960, des études visant à améliorer sa fabrication. C’est le général Willi Stoph, ancien ministre de l’Intérieur puis ministre de la Défense nationale de la RDA qui est chargé du projet. Quelques modifications sont ainsi apportées, aboutissant à un nouveau modèle dit 56/66, adopté en 1966. C’est l’un de ces nouveaux modèles que le musée de l’Armée conserve dans ses collections. Il a été donné en 1997 par un lieutenant de vaisseau français du Service d’informations et de relations publiques des armées (SIRPA), en poste à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine).

Ce casque se distingue principalement du modèle 56 initial par sa nouvelle coiffe. En effet, une coiffe réglable montée sur un support en plastique est adoptée. La bombe en acier reçoit ainsi six ergots intérieurs soudés qui permettent de fixer le support en plastique translucide en forme d’étoile à six branches. Celui-ci accueille la coiffe en cuir de porc monté sur un cerclage en plastique réglable. Deux tampons amortisseurs en mousse polyuréthane sont placés, à l’avant et à l’arrière, entre le cerclage et la bombe. La jugulaire reste quant à elle identique à celle utilisée pour le modèle 56 initial.  À partir de 1968, la NVA, probablement pour des raisons de confidentialité, décide d’adopter une datation de ses effets utilisant seulement un chiffre romain et une lettre. Sur cet exemplaire conservé au musée de l’Armée, seuls ces marquages apposés sur la coiffe permettent de connaître précisément la date de fabrication. Le chiffre III et la lettre O indiquent ainsi une production du troisième trimestre de l’année 1974.

Le casque modèle 56 a équipé les soldats de l’armée est-allemande durant toute son existence, de sa création en janvier 1956 à son démantèlement en 1990. Avec sa forme caractéristique, il devient le symbole d’une armée nouvelle qui cherche à affirmer sa singularité et son indépendance, qui n’est en réalité que très relative. Jamais engagée dans un conflit armé durant ses 34 ans d’existence, la Nationale Volksarmee aura été une force de dissuasion importante dans une RDA aux avant-postes d’un éventuel affrontement physique entre les blocs de l’Est et de l’Ouest qui n’aura jamais lieu. À l’issue de la dissolution de la NVA, une grande partie de ses équipements est revendue à des puissances étrangères, à l’instar du casque modèle 1956 qui poursuivra une carrière dans des troupes d’ex-Yougoslavie.

 

Romain Poudray, département Inventaire, diffusion et histoire des collections

 

*Devise de la Nationale Volksarmee : « Pour la protection du pouvoir des travailleurs et des paysans »

 

Bibliographie indicative :

-WATTIN A., L’armée de la RDA, Die Nationale Volksarmee : l’autre pilier du Pacte de Varsovie, Paris, éditions SPM, 2019.

-BERRAFATO L., Les casques de la N.V.A., In La Gazette des Uniformes, n° 187, janvier 2001, pp 25-28.

-X. MADIOT, Casque modèle 56/66 In World-war-helmets.com. [En ligne] https://www.world-war-helmets.com/fiche/Casque-Est-Allemand-Mle-56-66

Notice d’œuvre : https://basedescollections.musee-armee.fr/ark:/66008/997749.locale=fr