L’étude de l’histoire des collections permet de porter un regard neuf sur certaines œuvres. C’est le cas pour ce modèle d’artillerie entré au musée de l’Armée le 10 juillet 1908 et intégré à la collection par décret du 20 février 1909, sous le numéro 6734. L’affût ciselé est réalisé en laiton doré alors les roues et les ferrures sont en acier bruni. Le tube en bronze est également doré et adopte une morphologie de type germanique, courante dès le milieu du XVIe siècle. Les anses, en particulier, sont caractéristiques des canons en usage sous Charles Quint.
Cet objet a longtemps été présenté, sur la base d’affirmations traditionnelles, comme un jouet ayant appartenu à Louis XVII. Cependant, son histoire est totalement inconnue avant 1866, date de son apparition dans un contexte éveillant la suspicion : celui du musée des Souverains. A cette époque, il était présenté comme un petit canon « ayant servi de jouet au dauphin, fils de Louis XVI [1] ». Cette assertion doit cependant être considérée avec une extrême circonspection méthodologique. Elle n’est étayée par aucun document et ne repose que sur la tradition orale rapportée par le donateur, monsieur Mirauld. Cette attribution a ensuite été recopiée sur les différentes fiches d’inventaire du musée de l’Armée. On connaît par ailleurs les desseins que desservait le musée des Souverains, fondé par le président Louis-Napoléon Bonaparte : il tentait de montrer la continuité des rois depuis les premiers mérovingiens jusqu’au premier Bonaparte. Dans cet établissement, chaque monarque était représenté par 2 ou 3 objets prélevés dans les collections du Garde-Meuble, du musée d’Artillerie et de la Bibliothèque nationale. Louis XVII n’était représenté que par une petite épée provenant du musée d’Artillerie. Il ne serait donc pas étonnant que l’on se soit laissé tenter par un don et une belle histoire, dans ce contexte largement favorable à l’émergence de nouveaux mythes liés aux objets.
Trois petits canons similaires sont conservés à la Wallace Collection à Londres. Ils portent, comme celui du musée de l’Armée, des poinçons qui ont permis d’affiner leur origine. Ces objets sont des miniatures d’orfèvrerie réalisées par l’atelier de Michel Mann (1560-1630), un orfèvre germanique actif à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. La morphologie générale des canons et de leurs affûts corrobore cette attribution.
Ainsi notre petit canon n’est pas un jouet mais une miniature d’orfèvrerie destinée aux cabinets princiers du XVIe, à l’instar des pistolets miniatures que conserve le musée de l’Armée. Sans fondement dans l’état actuel de nos connaissance, son attribution à Louis XVII doit être mise de côté, mais qu’à cela ne tienne : nous avons « perdu » un jouet princier mais « découvert » le plus ancien modèle d’artillerie de la collection du musée de l’Armée !
Antoine Leduc, département Artillerie
————————————-
[1] : Henry BARBET DE JOUY, Notice des antiquités, objets du Moyen-Âge, de la Renaissance et des temps modernes composant le musée des Souverains, Paris, 1866, p. 189, n°149.