Au cours de sa déambulation dans les collections du musée, le visiteur est amené à découvrir au sein des cabinets orientaux et de la salle royale, des pièces japonaises d’exception : les armures de samouraï. Ces œuvres font régulièrement l’objet de prêts lors d’expositions, telle l’armure n° 371 I (G753) (Fig.1) prêtée au musée du quai Branly – Jacques Chirac pour l’exposition Jacques Chirac ou le dialogue des cultures entre le 21 juin et le 9 octobre 2016.
Les premières armures de type lamellaire keikô ont été introduites au Japon au Ve siècle depuis la Chine. A l’époque Heian (794-1185), l’armure appelée oyoroi ou « grande armure » était portée par les guerriers de rangs supérieurs, des cavaliers-archers. Elle se composait d’un plastron do en deux parties sur lequel se fixait une jupe d’armes kusazuri à quatre tassettes trapézoïdales. De grandes épaulières osode de cinq ou six rangs de lamelles protégeaient les bras et un casque kabuto, prolongé par un couvre-nuque shikoro, préservait la tête du soldat. Les fantassins portaient quant à eux l’armure domaru, constituée d’une seule pièce se fermant sur le côté droit. Plus mobile et légère, elle était originellement portée sans épaulière ni casque. Les militaires de haut rang adoptèrent le domaru dès l’époque de Kamakura (1185-1333) et le conservèrent en parallèle à l’armure haramaki au XVe siècle, celle-ci se différenciait notamment par sa fermeture au milieu du dos.
L’évolution des armures japonaises est à mettre en relation avec le développement de la classe des guerriers dans l’histoire du Japon. La montée au pouvoir de cette classe dès le XIIe siècle au Japon renforce le rôle du samouraï ou bushi au sein de la société. Le samouraï, dont le nom tire son origine du verbe saburau « servir », sert le seigneur et suit des valeurs de fidélité, piété filiale, courage et honneur : ces vertus seront au cœur du Bushidô ou « Voie du guerrier » à la fin du XVIe siècle. Le fonctionnement du bakufu, ou « gouvernement militaire », au XIIe siècle, est similaire au système féodal occidental de la même période : le bushi acquiert la protection du « seigneur » ou shogun en échange de son obéissance et de sa fidélité.
Sous l’influence des armures occidentales, introduites au Japon par les Portugais, les armures japonaises produites à partir du milieu du XVIe siècle, à l’époque de Momoyama (1568-1615), sont appelées tosei gusoku ou « armures modernes complètes ». Un nouveau laçage simplifié ainsi que l’augmentation du nombre des accessoires (cuissardes, manches, jambières, gantelets) permettent une meilleure protection du guerrier. La cuirasse se structure selon deux modèles d’articulation différents : nimaido « en deux sections » ou gomaido « en cinq sections » et peuvent être constituées soit de plaques pleines en fer, soit de lamelles lacées. Dans le cas de l’armure nimaido tosei gusoku G750 [Fig.2], le plastron est un support idéal aux motifs décoratifs représentant Fudô Myôô, divinité bouddhique protectrice des guerriers, et ses deux acolytes sur des rochers et des vagues.
Une technique décorative employée sur les plastrons est l’uchidashi ou technique du repoussé, comme sur l’armure G 750/1 [Fig.3] sur laquelle un lion fabuleux se détache en relief sur un fond de fleurs incisées.
A l’époque d’Edo (1603-1868), un temps de paix est instauré par le shogunat Tokugawa et les bushi n’ont plus de terre. Toutefois, la production d’armures se poursuit avec notamment la création d’armures d’apparat, revêtues lors de cérémonies. Les laçages n’ont plus seulement une fonction utilitaire mais aussi un rôle décoratif, grâce à l’emploi de soies teintes aux couleurs multiples comme sur la pièce 370 I (G 758) [Fig.4]. Au XVIe siècle et jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les échanges commerciaux entre l’Occident et le Japon sont nombreux et des armures sont envoyées par les shoguns Tokugawa comme cadeaux diplomatiques aux cours européennes. Ce sont des objets de collection prisés, comme en témoignent les deux armures[1] issues des collections royales françaises, aujourd’hui conservées au musée de l’Armée, qui furent réalisées par Iwai Yozaemon, l’armurier favori du shogun Tokugawa Ieyasu [Fig. 1].
Claudie Renaux, documentaliste au département Expert et Inventaire du musée de l’Armée
[1] Armures japonaises G753 et G 758/1
Légende des illustrations :
Fig 1. Armure de type tachimarudo signée par Iwai Yozaemon n°371I (G 753)
Fig 2. Armure moderne complète à cuirasse en deux sections Nimai yokohagi do tosei gusoku G 750
Fig 3. Armure moderne complète au décor du plastron en fer repoussé Uchinashi do tosei gusoku 5552 I (G 750/1)
Fig 4. Armure moderne complète à lamelles lacées 370 I (G758)
Bibliographie :
- REVERSEAU Jean-Pierre, Armes et armures de la Couronne au musée de l’Armée, Editions Faton, Dijon, 2004, pages 212 – 215.
- SHIMIZU Christine, L’art japonais, Paris, Flammarion, 2008.
- SOUYRI Pierre-François, Samouraï. 1000 ans d’histoire du Japon, Les Editions, Château des ducs de Bretagne, Nantes, Les Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2014.
- Cat. d’exp., Jacques Chirac ou le dialogue des cultures, sous la direction de Jean-Jacques Aillagon, Musée du Quai Branly, 21 juin 2016 au 9 octobre 2016, Flammarion, Paris, 2016, pages 140 – 141.
- Cat. d’exp., L’Or du Japon. Laques anciens des collections publiques françaises, sous la direction de Geneviève Lacambre, Monastère royal de Brou, Bourg-en-Bresse, du 2 mai au 25 juillet 2010, Musée des Beaux-arts d’Arras, du 28 août au 21 novembre 2010, IAC éditions d’art, Saint-Etienne, 2010.
- Cat. d’exp., Samurai, sous la direction de Jacques Deraeve et Jean Marie Duvosquel, Passage 44, du 21 septembre au 18 novembre 1984, Crédit communal de Belgique, Bruxelles, 1984.
Fig 1. : Photo (C) Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Jean-Yves et Nicolas Dubois
Fig 2. et Fig 3. : Photos (C) Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Marie Bour / Pierre-Luc Baron-Moreau
Fig 4. : Photo (C) Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier