“Mais autour de nous, quelle scène de dévastation ! une mer chargée de débris et de cadavres, des navires désemparés, criblés de boulets, à moitié brûlés, des embarcations chargées de blessés et de mourants qui imploraient du secours…”
C’est en ces termes qu’Eugène Sue décrit la baie de Navarin, au lendemain de la bataille du 20 octobre 1827.
Émues par le sort des grecs qui luttent pour leur indépendance depuis 1821, la France, la Grande-Bretagne et la Russie dépêchent une flotte en Grèce pour faire pression sur l’Empire Ottoman et imposer un cessez-le-feu. Cette flotte, constituée de 28 navires modernes manœuvrés par des équipages bien entraînés, rejoint l’armada turco-égyptienne dans la baie de Navarin, à l’ouest du Péloponnèse, au matin du 20. Celle-ci est constituée d’environ 80 navires de combat, de transports armés et de brûlots, des bateaux chargés d’explosifs que l’on lançait sur l’ennemi.
La flotte coalisée se déploie pour se livrer à des manœuvres d’intimidation. Mais, à la suite de plusieurs méprises, le combat s’engage en début d’après-midi alors que les navires russes n’ont pas pris complètement position. A la nuit tombée, selon l’amiral Codrington, commandant la marine anglaise, les ottomans ont perdu une soixantaine de navires et 6000 hommes, les coalisés environ 200 marins.
Cette bataille, premier exemple d’ingérence humanitaire de puissances européennes, puis l’expédition française de Morée poussent le sultan Mahmoud II à reconnaître l’indépendance grecque par le traité d’Andrinople, le 14 septembre 1829.
Ce sabre aurait été donné à Marie-Joseph Sue (1804-1857), dit Eugène Sue, par un officier de la marine ottomane au lendemain de cette journée. L’auteur bien connu des romans feuilletons Les Mystères de Paris (1842-1843) et Le Juif errant (1844-1845) a commencé sa carrière comme médecin militaire. En effet, élève peu assidu, il abandonne ses études en 1821. Son père, médecin-chef de la maison militaire du roi, l’y fait admettre en qualité de médecin stagiaire. En 1823, il participe à la prise du Trocadéro. De retour à Paris en 1825, il reprend contact avec la vie parisienne et mène grand train avec son cousin Ferdinand Langlé. Accablé de dettes, Eugène se rengage comme l’y incite son père . Il choisit alors la marine et assiste donc à la bataille de Navarin.
Cette arme est constituée d’une lame ancienne, de type Kilidj, datant peut-être de la fin du XVIIIe siècle et d’une garde dite « à la Blücher » qui équipe le plus souvent les cavaleries germanique ou anglaise. Ce type de panachage témoigne de la période de réforme que traverse l’armée ottomane sous le règne de Mahmoud II qui essaie de créer une nouvelle armée.
Ce sabre, donné au musée de l’Armée par un descendant de Ferdinand Langlé devait compléter le costume de velours brodé qu’Eugène Sue aurait ramené comme « dépouilles opimes », suivant le portrait que dresse de lui Alexandre Dumas.
Dominique Prévôt, C.E.D, département Moderne
Crédits photos : © Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier