Présentée au musée d’histoire de Marseille jusqu’au 17 mai 2015, l’exposition Le Front d’Orient. Les soldats oubliés revient sur les événements qui se sont déroulés aux Dardanelles et dans les Balkans pendant le premier conflit mondial. A cette occasion, le musée de l’Armée a prêté plusieurs cartes postales dessinées et écrites par le soldat Alexandre Berraud parmi un fonds de 87 œuvres, qui permettent de le suivre pendant l’année qu’il passe au front d’Orient.
« 6 Mai 1916. Ismaïly. My dearling (sic). Je viens de recevoir de tes nouvelles et j’en suis bien heureux. En ce moment, je suis aux avants postes devant Doïran dans un pays merveilleux dont tu te rendras compte par toi même en regardant le dessin ci contre, c’est ce que nous voyons depuis ici. Nous apercevons les Boches et leurs camps, ils se baladent en auto sur la route qui entre à Doïran, tout à l’heure un de nos avions est venu bombarder la ville. Les canons ronflaient mais ils n’ont pu l’attraper. Je me plais mieux ici qu’à la Division malgré qu’on n’y boit que de l’eau et qu’on y crève littéralement de faim. Je suis pour 48 heures tranquille car à la Cie ce n’est pas le filon, on travaille 5h, le matin de 5 à 10 et de 1 à 5 le soir par une chaleur de 50 degrés à faire des routes derrière les avants postes, il fait si chaud que le chocolat et les bougies fondent à l’ombre dans les tentes. Ah ! quel joli pays ! si c’était en temps de paix et que tu sois là. Quelles promenades, quel bonheur. […] La santé est parfaite mais je suis absolument éreinté, tant de fatigue que de travail. Mais ce n’est rien va, j’ai bon espoir que ça finisse bientôt. […] A toi mes plus doux baisers et à bientôt le plaisir de te lire. kys my cuic (sic). AB »
Alexandre Berraud naît à Bouclans, dans le Doubs, le 27 janvier 1884. Il s’installe à Charenton en 1908 où il exerce un emploi dans une étude notariale. En 1914, il est mobilisé au 235e régiment d’infanterie [1] et prend part aux combats en Alsace en 1914-1915. Il embarque à Marseille le 18 octobre 1915, en direction de Salonique, où il arrive le 23 octobre. Il entame alors une correspondance suivie avec sa femme, sur cartes postales, qu’il illustre au recto de dessins faits de sa main. Le musée de l’Armée conserve un ensemble de 87 de ces cartes [2], dessinées entre le 23 octobre 1915 et le 25 novembre 1916, donné au musée de l’Armée par madame Berraud au sortir de la guerre, en 1921.
Ces dessins d’un « apprenti dessinateur », comme Berraud se qualifie lui-même, à la plume ou au crayon de couleur montrent essentiellement des paysages, des vues de villes et de villages, ainsi que des portraits ou des scènes de la vie quotidienne. Grâce aux mentions précises des localités où il se trouve, il est possible de reconstituer l’itinéraire d’Alexandre Berraud dans les Balkans, de la retraite de Serbie pendant l’hiver 1915 aux offensives menées pour la prise de Monastir en novembre 1916. Entre la Grèce, la Bulgarie et la Serbie, il évolue le long du fleuve Vardar, entre Salonique et le lac Doïran en passant par Kukus, Gevgheli et Negotin.
La lecture des cartes quant à elle, nous permet de comprendre le quotidien difficile des soldats de l’armée d’Orient, ainsi que l’état d’esprit de leur auteur, pour qui l’éloignement est douloureux : « Depuis ce matin, je regarde le port et j’ai un cafard formidable en voyant la grande bleue qui jette une séparation de 300 km entre nous et la France », écrit-il le 26 mars 1916. La pratique du dessin constitue alors un moyen de lutter contre l’ennui.
D’une écriture fine et serrée, il raconte les nombreux obstacles auxquels il est confronté quotidiennement : la difficulté de se procurer de l’eau et de la nourriture, la maladie, les longues marches et la chaleur sont des thèmes récurrents dans ses écrits. Le manque d’information sur le déroulement de la guerre en France, mais aussi l’évocation des ennemis sont régulièrement mentionnés.
Le quotidien est aussi fait de moments de détente qui voient Berraud passer tout son temps dans un « hôtel de la Tortue » qu’il a lui-même aménagé en recyclant du mobilier trouvé dans le village voisin, on peut y voir une « table d’un style nouveau genre représentée par une porte d’armoire Modern’style. » (20 août 1916).
Ses cartes postales montrent un homme cultivé et curieux. Au fil des jours, nous partageons ses réflexions sur la guerre, sur cette partie du conflit aujourd’hui encore mal connue. La correspondance d’Alexandre Berraud cesse le 25 novembre 1916. Trois semaines plus tard, il est tué lors de combats autour de Monastir, le 17 décembre 1916.
Laëtitia Desserrières, assistante Cabinet des dessins, des estampes et de la Photographie
[1] Le régiment est dissout en octobre 1916 et Alexandre Berraud est alors affecté au 260e régiment d’Infanterie.
[2] Inv. 1403 C1.
Crédits photos : © Paris – Musée de l’Armée