02 04 2014

Un fusil de demi-citadelle du «Magasin royal» entre dans les collections du musée de l’Armée

Les armes à silex militaires du XVIIe siècle sont des pièces rares. Elles ont en effet été utilisées jusqu’à usure totale et les derniers stocks existants ont été détruits au XVIIIe siècle. Cet état de fait explique l’absence de pièces d’armement dites « pré-réglementaire »[1] dans les collections du département Moderne et donne tout son intérêt à l’acquisition de ce fusil.

Fusil de demi-citadelle provenant du "magasin royal", vue générale du côté platine

Le fusil à silex se répand dans les armées européennes au milieu du XVIIe siècle. Vue de l'écusson au armes de France sur la crosse du fusil de demi-citadelleEn France, il interdit par ordonnance entre 1653 et 1668. Par la suite, il est cependant distribué dans les troupes et supplante le mousquet en 1699. Dans ce parc d’armes à silex, on peut distinguer les armes « de rempart ». Utilisées essentiellement, en attaque comme en défense, contre les embrasures de tir des fortifications ou des batteries, ces fusils sont dotés d’un fort canon supportant une charge propulsive d’environ 20 grammes de poudre[2], qui permet de projeter une balle lourde jusqu’à trois cents mètres, surclassant ainsi les capacités balistiques des armes d’infanterie[3]. Le musée de l’Armée conserve un exemplaire de ces armes, datant des alentours de 1670 et mesurant 2,21 m. Le fusil qui vient d’être acquis est qualifié de « demi-citadelle », car tout en conservant les propriétés techniques d’une arme de rempart, il présente des dimensions plus modestes et se trouve, de fait, plus maniable en attaque.

L’autre aspect qui confère à cette arme sa grande rareté est sa provenance puisqu’il est identifié comme une arme du « Magasin royal ». Afin de réduire les coûts de l’armement, le roi Louis XIV décide en 1666 d’en centraliser la fourniture en nommant un entrepreneur, Maximilien Titon de Villegenon (1621 – 1711), à la tête des magasins d’armes du royaume. Celui-ci fait exécuter les commandes d’armes dans les grands centres armuriers et les armes sont ensuite stockées au « Magasin royal » de la Bastille à Paris, mais aussi à Lille , Metz et Lyon où les officiers peuvent les acheter aux prix fixés par le secrétaire d’Etat à la Guerre. En outre, on procédait au « Magasin royal » au montage et à la réparation de certaines armes. Notre fusil de « demi-citadelle » a ainsi été fabriqué par Jean-Louis Carrier, azrmure à Saint-Etienne entre 1680 et 1729 et parent de Titon par alliance. Le canon porte, lui, le poinçon de Dutreuil (ou Dutrevil), armurier parisien actif entre 1680 et 1717, dont la personnalité est plus incertaine. Toutefois, la section hexagonale et le profil légèrement tromblonné du canon évoquent plutôt une production du début du XVIIe siècle. Cette particularité correspond à la pratique, courante à l’époque, du réemploi de pièces extraites d’armes plus anciennes. Il est donc possible que l’auteur de ce canon soit un parent de ce Dutreuil.

La France adopte en 1717 le premier fusil réglementaire, les armements antérieurs continuent cependant à être utilisés jusqu’à usure totale. C’est notamment le cas des armes de siège qui garnissent les arsenaux des places et dont certaines sont employées jusqu’à la guerre de Sept ans (1756-1763). Enfin, à la fin des années 1770, la fonte des « vieux fers » devient plus rentable grâce à un nouveau procédé technique. De nombreuses pièces anciennes, inutiles mais encore présentes en masse dans les arsenaux, sont alors détruites. Les dernières qui subsistent sont enfin vendues aux enchères durant la Révolution.

Dominique Prévôt, C.E.D, département Moderne


[1] On qualifie de pré-réglementairesles armes utilisées par l’armée avant l’adoption d’une arme dont les caractéristique sont précisément définies par un texte. Concernant le fusil d’infanterie, par exemple, il s’agit d’armes conçues avant 1717.

[2] Contre une charge d’environ 16 grammes pour un mousquet ordinaire.
[3] Toutes ces données, théoriques, sont établies par des sources d’époque.