20 07 2018

Uniforme de grande tenue de service de brigadier fourrier du 1er régiment de spahis algériens

La mission de récolement des hauts d’uniformes contemporains a permis de recenser de nombreux objets appartenant aux régiments de cavalerie de l’armée d’Afrique, les spahis. Ces ensembles permettent de présenter des uniformes complets et variés quel que soit le grade, le contexte ou l’époque. L’uniforme de grande tenue de ce brigadier fourrier du 1er régiment de spahis algériens nous montre l’aspect traditionnel de ce régiment de cavalerie, fixé dans le règlement de 1858, et qui resta inchangé jusqu’au début de la Grande Guerre[1].

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Photo © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN – Grand Palais / Christophe Chavan

Les spahis sont liés à l’histoire de l’armée d’Afrique[2]. Le 7 février 1830, le gouvernement de Charles X décide d’une expédition militaire à Alger afin d’endiguer la piraterie qui sévit en Méditerranée. L’armée d’Afrique, créée par ordonnance le 6 juin 1830, est le corps expéditionnaire de 37 000 hommes, essentiellement issus de la Métropole, désigné pour débarquer sur les côtes algériennes le 14 juin. L’expédition est un succès militaire : Alger et ses forts environnants sont rapidement conquis. Mais les troubles politiques internes à la France en 1830, qui instaurèrent la Monarchie de Juillet, contraignent le rapatriement d’une partie du corps. Restent ainsi 11 000 hommes sur place pour préserver les conquêtes et lutter contre les pressions des trois beys[3] voisins. Afin de combler ce vide, le général de Bourmont[4] et son successeur le général Clauzel[5], entament des recrutements d’unités indigènes issues des ethnies locales. En dix ans, l’armée d’Afrique s’agrandit en formant des bataillons de zouaves, de chasseurs, de légionnaires, de tirailleurs et bien entendu de spahis[6] incorporant au passage des Français issus de la Métropole. Plusieurs régiments de spahis sont ainsi créés : un régiment algérien en 1832, un régiment tunisien en 1886 puis un régiment marocain en 1912. Ce corps d’armée fut présent sur tous les théâtres d’opération sur lesquels l’armée française combattit. Les spahis firent leurs armes durant la conquête de l’Algérie, participèrent aux guerres coloniales et aux missions de pacification dans l’Empire et assurèrent la défense de la Métropole par trois fois (durant la guerre de 1870, la Première et la Seconde Guerre mondiale). Leurs derniers faits d’armes furent les guerres en Indochine et en Algérie. Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, les régiments de spahis ont tous été dissous. Ne subsiste qu’un seul régiment, encore en activité, basé à Valence.

Le règlement de 1858 nous donne une description précise de la composition de l’uniforme et celui du brigadier présent ici en respecte la composition. La veste (bedaïa), de forme arabe, est en drap garance, avec sur le devant, et délimitant les rebords du col et de l’habit, des tresses plates noires à soutaches à fleurons[7]. La tresse entoure le tombô qui correspond à la pièce de velours garance de forme ovale présente sur le devant et qui stipule le numéro de régiment du spahi[8]. Placés en pointe sur les manches, les galons en laine jonquille façon cul de dé indiquent le grade de brigadier[9], tandis que les galons en or, ou dits à lézardes, placés sur le haut des manches renseignent sa fonction, celle de fourrier[10]. Un parement bleu de ciel aux emmanchures ainsi qu’une fente fermant par neuf boutons en cuivre viennent compléter la décoration des manches. On remarque surtout l’abondance de riches décorations avec les tresses noires, les soutaches à fleurons et les motifs dans le dos. Ceci est une fantaisie du propriétaire voulant paraître tel un sous-officier et cherchant à coller au mieux au goût oriental[11]. Une médaille coloniale avec la mention « Maroc » est agrafée sur la veste. Elle marque la participation de ce spahi à des opérations militaires dans les colonies et en particulier au Maroc. Sous la veste, le spahi porte un gilet en drap bleu de ciel avec une tresse et des soutaches noires sur le devant.

Photos © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN – Grand Palais / Emilie Cambier

Une ceinture en laine cramoisie maintient le gilet et le pantalon. Ce dernier (séroual), dit « à l’orientale », en drap bleu de ciel présente une forme très large due aux trente-deux plis au niveau de la ceinture permettant le maintien de l’habit sur les hanches[12]. Il comporte aussi de riches décorations en tresse noire au niveau des poches. Les burnous sont les grandes capes en drap de laine composées d’un corps et d’une large capuche. Sur le burnous garance[13], une pièce de couleur se trouvant au niveau de la poitrine mentionne le régiment. Il est complété d’une tresse noire sur le rebord. Au-dessous, un burnous en drap de laine blanc forme la doublure[14]. Le règlement stipule aussi le port de la chéchia en laine feutrée garance. La chéchia sans gland ni houppette est pour les indigènes tandis que celle présentée, avec un gland en soie bleue, est destinée aux Français. On trouve aussi d’autres distinctions entre métropolitains engagés et indigènes, ces derniers adoptent avec affection la coiffe appelé guennour[15]. L’uniforme des officiers est aussi différent. La veste est remplacée par une tunique garance, un pantalon large et un képi.

Jusqu’en 1914, l’uniforme change très peu ; seules quelques modifications au niveau des équipements en cuir et la suppression du haick, une longue bande d’étoffe blanche dont le milieu recouvre le guenhour ou la chéchia, sont à noter. Au début de la Première Guerre mondiale, l’uniforme montre ses limites dans cette nouvelle guerre moderne. Rapidement, l’uniforme chatoyant est laissé au profit de la vareuse, d’un pantalon et de la gandourah[16] kaki afin de mieux s’adapter aux conditions de la guerre de tranchée. Seul le burnous persiste en tant qu’habit d’hiver ou lors de cérémonies en grande tenue. La tenue à l’orientale des spahis est rétablie de manière éphémère en 1919-1921 puis de façon définitive le 15 novembre 1927 comme tenue de sortie, mais uniquement pour les militaires de carrière, avant d’être étendue à l’ensemble des effectifs français et indigènes en juin 1939.

Quentin POULET, Département Experts et Inventaire

[1] Uniforme de brigadier fourrier européen du 1er régiment de spahis algériens, grande tenue de service, 1910, musée de l’Armée, n° inv. Ga 322
[2] Collectif, catalogue d’exposition. Les spahis. Cavaliers de l’armée d’Afrique. Paris, Musée de l’Armée, 1997
[3] Titre turc qui signifie « seigneur » porté par les souverains vassaux du sultan.
[4] Louis Auguste Victor de Ghaisne de Bourmont (1773 – 1846), général en chef du corps expéditionnaire en Algérie en 1830.
[5] Bertrand Clauzel (1772 – 1842), général en chef des troupes en Algérie (1830 – 1831)
[6] Le mot spahi a plusieurs significations suivant les langues. Il peut signifier un « soldat » en indo-persan, une « armée » en persan ou un « soldat monté » en turc.
[7] Veste (boléro) et gilet de brigadier fourrier du 1er régiment de spahis algériens – Modèle 1858, musée de l’Armée, n° inv. 21150 ; 21150.1
[8] Le tombô garance correspond au 1er régiment de spahis. Le blanc au second, la jonquille au troisième et le bleu de ciel au quatrième. Ces attributions de couleurs deviennent officielles en 1885.
[9] Les galons pour les sous-officiers et officiers sont en or, façon dite à lézardes.
[10] Le fourrier est le responsable de l’intendance.
[11] MIROUZE Laurent, DEKERLE Stéphane. L’Armée française dans la Première Guerre Mondiale, Tome 1. Verlag Militaria, Edition Stefan Rest, 2007. Vienne Autriche. p.395
[12] Ibid p. 402 – 403
[13] Le burnous des spahis marocains est bleu.
[14] MIROUZE Laurent, DEKERLE Stéphane. L’Armée française dans la Première Guerre Mondiale, Tome 1. Verlag Militaria, Edition Stefan Rest, 2007. Vienne Autriche. p.399-401
[15] Coiffure traditionnelle algérienne en forme de dôme recouvert d’un chèche et maintenu par une corde en laine de chameau.
[16] Survêtement de toile de coton, sorte de longue chemise de couleur sable qui descend jusqu’à mi-mollet.